Sans titre
Ilfochrome sur aluminium, 90x115 cm, 2004
Natacha Lesueur s'est imposée ces dernières années en France comme l'une des jeunes artistes les plus prometteuses, par une oeuvre particulièrement cohérente et personnelle. Je retiens deux thèmes déterminants de ce travail.
Natacha Lesueur travaille dans un premier temps sur le corps, avec une idée du corps meurtri, fragmenté et parcellisé, accentué par le cadrage photographique, adouci par une esthétique positive, neutre, voire conviviale, inspirée de l'esthétique publicitaire contemporaine dont le dispositif tout entier constitue également une critique ironique. Avec l'idée du corps comme une surface d'inscription des différents effets de pouvoir, l'artiste reprend à son compte, en quelque sorte, l'un des paradigmes artistiques du début des années quatre vingt-dix. Mais la manière précise, froide et anti-expressionniste avec laquelle elle aborde cette problématique, constitue également une critique du caractère moralisateur ou idéologique du «retour» de l'art corporel au début de la dernière décennie.
Le deuxième élément traite de la photographie, ou plus précisément de plusieurs changements récents dans le statut de l'image photographique. Comme chez Rudolf Schwarzkogler ou Cindy Sherman, la photographie opère ici en mise à distance de la transformation corporelle qu'elle représente, par rapport au danger expressionniste de l'art corporel. Les images de Natachaa Lesueur sont particulièrement précises, fabriquées par l'artiste même dans son atelier, mais avec des conditions techniques quasi professionnelles (chambre, négatif à grand format, impression à haute qualité). D'une manière délibérée, Natacha Lesueur supprime de ses images tout ce qui pourrait rappeler l'histoire de la photographie et son esthétique bien codée, au profit d'une image neutre, presque a-culturelle, qui est celle des médias et de la publicité contemporaine. En associant un corps humain à la fois parcellisé, cosmétique et séduisant, aux substances alimentaires et à l'idée d'une sculpture expressive, ainsi qu'à une médiation anti-personnelle véhiculée par la publicité, Natacha Lesueur crée un dispositif multiple, contradictoire, bourré de pièges, qui tente vers la mise en abîme des illusions corporelles et psychologique du monde contemporain.
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