Je commence ici par une citation de Sénèque. Neminem mihi dabis qui sciat, quomodo, quod vult, coeperit velle : non consilio adductus illo, sed impetu impactus est. ( "Tu ne pourras me montrer personne qui sache comment il a commencé à vouloir ce qu'il veut: il n'y a pas été conduit par la réflexion, mais jeté par une poussée. ") et toute la difficulté est contenue dans cette poussée. Qui n'a pas été confronté au détour d'une quelconque galerie à l'absurdité d'une oeuvre bavarde prédéterminée par le seul discour. J'oppose à cette rencontre malheureuse celle d'une pensée en attente, comme en réserve, le caractère insaisissable parce qu'en mouvement d'une oeuvre. L'élaboration est faite de tatonnements, de ratures, d'expérimentations, d'impasses et de retours. Ce temps discontinu s'inscrit néanmoins dans le rythme des instants cohérents par rapport à une stratégie ou un but que l'artiste s'est fixé, c'est l'instant de progrès défini par Bachelard, le temps horizontal ou l'acte et le geste s'améliorent lors de chacune de ses répétitions. Toute l'épineuse question de l'art contemporain se pose en ces termes : la stratégie opérante de l'élaboration d'une oeuvre doit elle s'inscrire dans ce mouvement perpétuel correspondant à l'instant de progrès (ce qui est souvent le cas) ou doit elle faciliter l'émergence d'instants créateurs, celui de la révélation fulgurante, ou pour convier notre hôte à nouveau celui du temps vertical. Pour Jean-Luc Nancy l'artiste doit être un technicien du Kairos et je doits avouer trouver cette proposition plutôt séduisante.
J'ai suffisamment d'accointance avec la communication et le marketing opérationnel pour risquer une comparaison formelle : Une campagne de communication (prenons comme exemple Hollywood sphère) est toute aussi opérante qu'une vidéo de pipilotti rist - Entslastlungen Pipilottti Fehler (1988 - que par ailleurs j'aime beaucoup). Sémantiquement opposés mais formellement si proches. J'ai souvent le sentiment que le "mal fait", le "bricolé" de certaines oeuvres contemporaines sont imposées - outre par les faibles moyens dont disposent la grande majorité des artistes comparativement au budget colossaux d'un spot publicitaire - par la volonté évidente de nier tout lien de parenté formel avec leur grand frère de la pub et des médias dont souvent ils dénoncent les méfaits. Etrange parenté !
Si ces questions paraissent d'arrière garde, je n'oublie pas que la récente polémique suscitée par le procès en nullité de l'art ne me semble pas si éloignée.
Pour ma part je crois à cette poussée, à ce temps décisif qui impose le mot juste, au kairos de la langue sans lequel l'oeuvre d'art n'est que le miroir du réel.
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